C’est vers 2005 que Tanx entreprend un exercice narratif journalier, publié sur l’un de ses blogs, qui aboutit aujourd’hui à ce livre au titre évocateur : Des croûtes aux coins des yeux. Tous les matins, au réveil, elle entame sa journée en dessinant un strip, couchant ce qui lui occupe l’esprit dans l’instant. Bien que l’astreinte journalière ne sera pas vraiment respectée au fil du temps, l’exercice perdure depuis maintenant 11 ans. On entre ainsi dans la chair crue du quotidien, brut de décoffrage, ou les vicissitudes de la survie financière, l’engagement politique, le rapport aux autres, les angoisses personnelles et tout ce qui peut composer nos premières pensées matinales se voient propulsés, littéralement évacués sur le papier. S’élabore un incroyable portrait témoignage, sans détour ni pudeur, cruel et drôle, autant réflexif sur ses pratiques artistiques, son milieu professionnel et personnel imbriqués, qu’évolutif aux gré des évènements de la vie, du travail, des relations avec ses proches, ses lointains (sa pratique assidue des réseaux sociaux). En creux, surtout, on y lira la cartographie mentale, sociale, d’une autrice farouchement soucieuse de son indépendance et de son intégrité artistique se débattant face au monde contemporain et ses reculades sociales, sa gestion purement comptable des citoyens, de l’Art et des idées. Les strips s’empilent au fil des mois, percutants et acerbes, ils dessinent le présent et nos luttes intérieures, loin de l’entre-soi d’une création repliée sur elle-même et encore plus loin d’une autobiographie contrainte à l’ennui.
Graphiquement, le style des dessins évoluent, aux fils des ans et des envies et questionnements de l’autrice sur la forme de son travail quotidien, passant du croquis hyper-expressif des débuts à un réalisme classique, dérivant vers l’anthropomorphisme... toujours vivant et surprenant, Des croûtes aux coins des yeux est un laboratoire in-vivo, bouillonnant d’idées et de spontanéité, salvateur et fort en gueule.