Ceci est l’histoire de monsieur Comte – oui, c’est son véritable nom. Monsieur Comte vit au XVIIIe siècle, celui de la philosophie des Lumières. Il se sent tiraillé entre ses aspirations à l’humanisme et les contraintes de sa profession. Car monsieur Comte répugne à l’esclavage et se sent ému par la cause de tous ces êtres humains dont certains font commerce. D’un autre côté, la petite entreprise qu’il dirige utilise l’esclavage. Que faire ? Le choix n’est pas aisé. Heureusement, il y a la philosophie. Monsieur Comte réfléchit. La pensée lui apporte un mince réconfort et lui donne des idées originales. Par exemple, il aimerait « pouvoir dormir sereinement avec la certitude que notre compagnie pratique un esclavage à visage humain ». Car « dans un monde idéal, on ne devrait pas faire le commerce des êtres humains », et toute cette barbarie doit cesser. D’ailleurs, monsieur Comte a des idées, qu’il se hâte de mettre en application. Rentré chez lui, il se hâte d’écrire un pamphlet contre l’esclavage. Ça ne mange pas de pain, et c’est déjà ça. Puis il demande à son épouse, la jolie comtesse Eponyme, de l’enduire de cirage et de l’enfermer dans un coffre qu’elle fermera ensuite à double tour. Ainsi, il pourra expérimenter la rude condition des esclaves Noirs et partager, en quelque sorte, leur misérable quotidien. « J’écris sur les Noirs, je dois les connaître et leur ressembler », philosophe monsieur Comte tout en tenant la plume. L’ennui, c’est que la jolie comtesse oubliera son mari pendant toute une nuit, ce qui la conduira à se confesser, persuadée qu’elle a, bien malgré elle, mis fin à ses jours… Ainsi va la vie dans le petit monde de Joann Sfar, pétri de sagesse, de philosophie amusante et de fantaisie contagieuse. Les Lumières de la France marque le retour de Sfar à la bande dessinée après deux détours par le cinéma, comme réalisateur d’un long-métrage consacré à Serge Gainsbourg puis coauteur de l’adaptation en dessin animé de son Chat du rabbin. Sfar aborde des sujets qui lui sont chers et qu’il avait déjà traités dans Le Chat du rabbin, comme le racisme ou la question de la liberté individuelle. Il adore pratiquer la philosophie sans en avoir l’air, nourrissant ses albums de réflexions personnelles qu’il a le don de mettre en scène de manière amusante, avec ce dessin en liberté qui n’appartient qu’à lui, cet amour des mots et ce formidable talent de raconteur d’histoires. Car, d’une certaine manière, Joann Sfar est moins un auteur de bande dessinée qu’un conteur, qui utilise tous les outils à sa disposition - la BD, le cinéma, le roman, l’illustration – pour enchanter son lecteur et lui raconter des histoires, au sens propre comme au figuré. On retrouve aussi, dans ces Lumières de la France, cet érotisme joyeux et libertin qu’affectionne l’auteur, comme un hommage rendu à la liberté des corps autant qu’à celle des esprits. Il est rassurant de constater que le cinéma ne nous a pas changé Sfar, et que la bande dessinée reste un mode d’expression dans lequel il est toujours aussi inventif, toujours aussi libre et toujours autant lui-même…
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