L’inspecteur Sigilozy est chargé de l’affaire dit des « crimes du Vampire ». Il est le responsable du bureau des digressions, un service de la police sur la sellette malgré son glorieux passé. Il est clair que compter sur les détours et les divagations pour résoudre une énigme n’est pas le plus efficace. Quoi que, dans cette Budapest fantasque où les objets prennent vie, où les personnages sont doubles, les sous-sols et les couloirs sont labyrinthiques, une part de chance est probablement la bienvenue…
Lenteur, surréalisme et virtuosité
Voilà donc un polar BD (peut-on vraiment le qualifier ainsi ?) grand format de 128 pages, extrêmement dense, dont la lecture ne vous prendra pas 20 minutes ! En effet, à l'image des origines de la bande dessinée (Töpffer entre autres…), le style direct est finalement peu employé, le narrateur est aussi le protagoniste de cette enquête loufoque et la plus grande partie de l’histoire est racontée en voix off et illustrée dans les vignettes. Cela participe au plaisir de prendre –perdre- du temps comme le fait l’inspecteur dans sa poursuite du vampire ainsi surnommé car il vide ses victimes de leur sang. L’absurde est bien entendu de rigueur ainsi que le surréalisme narratif et graphique. On pourrait évoquer Lewis Carroll, Walt Disney, Kafka, et bien sûr Carlos Nine, le père de Lucas Nine. Graphiquement justement, le style est réjouissant, le trait est virevoltant, rattrapé par une mise en couleur un peu plus stricte, la déformation des personnages fait parler les corps plutôt que les visages, le tout est extrêmement dynamique et tranche avec la lenteur du récit.
Du vampirisme des objets à la schizophrénie de la société, un album moderne.
On semble être dans une époque charnière, que l’on pourrait situer au début du XXème siècle dans laquelle les temps changent et le vampirisme autrefois animal est ici représenté par les objets de consommation industriel. Ces objets-vampires, qui rendent leurs victimes exsangues sont à mettre en perspective avec le vampirisme numérique de notre époque ! Les puissances ne sont plus industrielles mais se nourrissent de nos données personnelles. Le dénouement quelque peu déconcertant va d’ailleurs dans cette direction.
Tout est faux dans cette Budapest : les apparences exposées par les habitants de "Buda", le quartier fréquentable de la ville sont totalement oubliées dès lors qu'ils passent sur l'autre rive : "Pest" où se concentrent tous les vices de la société et où tous les braves gens se pressent la nuit, déguisés pour se livrer à toutes sortes d'activités plus ou moins légales. La façon dont notre monde s'arrange avec des contradictions incroyables en termes social ou écologique font écho à cette schizophrénie. A l'échelle de la personne : la vérité que l'on expose officiellement sur les réseaux et en société cache souvent une réalité plus complexe, plus triste, plus sombre de nous-même !
On aura compris que cet album est de l'ordre de la BD alternative, il faudra bien sûr faire l'effort de s'habituer aux codes graphiques et narratifs mais celui qui s'accroche en tirera un réel plaisir jusqu'au dénouement extrêmement surprenant et qui fonctionne à merveille !
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