En 1969, l’hebdomadaire d’actualités argentin Gente commande à Oesterheld une nouvelle version de L’Eternaute, que le scénariste avait écrit en 1957 et qui avait été mis en images par Francisco Solano López. Oesterheld confie son scénario à Alberto Breccia qui avait été un moment pressenti pour dessiner la première version. La publication commence en mai 1969 et doit se poursuivre pendant une année, à raison de trois pages par semaine. Oesterheld modifie le scénario original, en y introduisant des références à la situation politique argentine. Dans cette nouvelle version, le récit de science-fiction prend des tons qui reflètent les opinions et l’engagement personnel de Oesterheld. L’Eternaute, publié dans ce magazine à grand tirage, se métamorphose en une dénonciation à peine voilée des choix politiques du gouvernement en place, la dictature du général Onganía. Le message n’échappe pas au regime et aux foudres de la censure, qui ne tardent pas à frapper L’Eternaute. L’année précédente, le même Onganía avait fait saisir La vie du Che écrite par Oesterheld et dessinée par les Breccia, père et fils. La biographie du révolutionnaire argentin avait été jugée « subversive » et saisie peu après sa publication. Cette fois, la dictature adopte une stratégie plus subtile : elle ne vise pas ouvertement le message de Oesterheld mais choisit une voie détournée. Après quelques semaines, Gente commence à publier des lettres de protestation de « lecteurs » qui critiquent les choix formels de Breccia, son style avant-gardiste, son dessin « confus ». Ces lettres fournissent un excellent prétexte à la direction du magazine pour suspendre la publication de L’Eternaute. Les auteurs arrivent tout de même à un compromis et obtiennent de terminer la publication en résumant plus de la moitié du projet original en quelques chapitres. L’Eternaute constitue un tournant décisif dans le parcours artistique d’Alberto Breccia, qui s’éloigne définitivement de la bande dessinée commerciale pour se consacrer à l’expérimentation. Les innovations graphiques introduites par Breccia tout au long de l’histoire font voler en éclats les conventions, montrent des nouvelles voies et font de son Eternaute une référence pour des générations de dessinateurs. Cette nouvelle édition de L’Eternaute prend le titre L’Eternaute 1969 (mention qui apparaît sur les pages originales de Breccia) afin la différencier de la version dessinée par Francisco Solano López qui a été récemment éditée en français. Cette œuvre majeure de la bande dessinée voit le jour après un travail laborieux de restauration qui a aussi corrigé les manques et les erreurs contenus dans la précédente édition française. Le récit est également suivi d’une postface signée Carlos Trillo et Guillermo Saccomanno, illustrée par des documents rares d’époque.
L'avis de la communauté
Commentaires
Cet album n'a pas été commenté par nos membres :(